Les personnes sourdes entendent-elles une voix intérieure ?
Un fil de discussion intéressant sur Quora pose la question suivante : « Est-ce qu’une personne née avec une déficience auditive « entend » une voix intérieure ? » Plusieurs personnes ayant connu une perte auditive ont contribué à la discussion, et leurs réponses constituent une lecture fascinante.
Pour commencer, pourquoi la question est-elle intéressante ? Comme je l’ai mentionné dans mon dernier billet, les chercheurs abordent le phénomène du discours intérieur, ou de la « voix dans la tête », avec une vigueur renouvelée. Le discours intérieur semble être un phénomène commun, et il a été associé à un certain nombre de fonctions importantes, allant du contrôle de son propre comportement au développement d’un sentiment de soi.
De plus, une vision développementale du discours intérieur le considère comme émergeant des interactions sociales médiatisées par le langage parlé. Quelle est l’histoire, alors, pour quelqu’un qui n’utilise pas le langage parlé ? Existe-t-il une sorte de » signe intérieur » qui fait toutes les choses que la parole intérieure parlée semble faire ?
Un certain nombre de répondants sourds à la question de Quora suggèrent que c’est effectivement le cas. Un participant déclare : « J’ai une « voix » dans ma tête, mais elle n’est pas basée sur le son. Je suis un être visuel, donc dans ma tête, je vois soit des signes ASL, soit des images, soit parfois des mots imprimés. » Pour cette personne, le son n’est pas une caractéristique de l’expérience. Une autre personne interrogée fait l’expérience d’un mélange de modalités : « Ma voix intérieure me parle figurativement et je l’entends aussi bien que je la lis sur les lèvres ». Dans ce cas, l’expérience possède à la fois des propriétés auditives et visuelles.
L’âge auquel la perte d’audition survient est susceptible d’être important pour déterminer la modalité du discours/signe intérieur. Un participant qui a perdu l’ouïe à l’âge de 2 ans dit penser avec des mots, mais des mots sans son, tandis qu’un autre individu ayant une perte d’audition précoce décrit » entendre » une voix dans ses rêves en l’absence de signes ou de mouvements des lèvres.
Qu’est-ce que cela signifie d’entendre une « voix » lorsque l’expérience ne semble pas être accompagnée d’un son ? Une façon de réfléchir à cette question est de s’interroger sur les propriétés du discours intérieur rapporté par les personnes entendantes. Selon la théorie de Vygotsky, le processus d’intériorisation des échanges linguistiques entraîne la suppression de nombreuses propriétés acoustiques du langage, ce qui donne lieu à ce que j’ai appelé un « discours intérieur condensé ». On peut soutenir que le discours intérieur condensé sonne comme une voix, mais une voix qui n’a rien de très « parlant ».
Plusieurs études ont mis en lumière la façon dont les personnes malentendantes utilisent le signe intérieur. Il existe des preuves que le signe intérieur sert de médiateur à la mémoire à court terme chez les personnes signantes, tout comme la parole intérieure sert de médiateur à la mémoire à court terme chez les personnes entendantes. Dans une étude de neuro-imagerie, les zones du cerveau associées à la parole intérieure étaient activées lorsque les signataires pensaient à eux-mêmes en signe, ce qui suggère une voie neuronale commune à la pensée en langue qui est indépendante de la modalité de cette langue.
La signature privée et intérieure semble également présenter des avantages potentiels pour les personnes entendantes. Une chercheuse (entendante) sur le forum Quora rapporte que la signature privée l’aide parfois à trouver des mots anglais, et que la signature intérieure peut même entrer dans ses rêves après avoir interagi avec d’autres signataires.
Ce sujet me préoccupe beaucoup depuis une conférence fascinante donnée à notre projet Hearing the Voice par le Dr Joanna Atkinson du Deafness Cognition and Language Research Centre de l’University College London. Le travail de Jo a porté sur l’expérience de l’écoute de la voix chez les personnes malentendantes, et j’en parlerai dans un prochain article. Si certaines expériences d’écoute de la voix impliquent une mauvaise attribution de la parole intérieure, quelque chose de similaire peut-il se produire avec le signe intérieur ?
Merci à Jad Abumrad d’avoir attiré mon attention sur la discussion Quora.
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