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Hérode était-il juif ?

Les antécédents d’Hérode

Hérode, l’un des plus grands et des plus controversés rois de Judée, est né en l’an 73/72 avant notre ère dans une famille de convertis iduméens. Son grand-père, Antipas, fut le premier à se convertir au judaïsme sous la vague de conquêtes menée par le souverain hasmonéen, Jean Hyrcanus (134-104 av. J.-C.). Plus tard, sous le règne du fils de Jean Hyrcanus, Alexandre Jannée (103-76 av. J.-C.), Josèphe nous raconte (Ant. 14:10),

que le roi Alexandre et sa femme l’avaient fait (=Antipas) général de toute l’Idumée, et qu’il avait fait une ligue d’amitié avec ces Arabes, et Gazites, et Ashkelonites, qui étaient de son propre parti, et qu’il avait, par de nombreux et grands présents, fait d’eux ses amis rapides.

C’est ainsi que commença la longue affiliation de cette famille avec celle de la maison régnante de Judée. Le fils d’Antipas, Antipater, était un ami du fils d’Alexandre Jannaus, Hyrcanus (Ant. 14:8), et a réussi à se glisser dans ses bonnes grâces et à lui conseiller de défier son frère pour le pouvoir.

Les deux fils aînés d’Antipater étaient Phasaelus, peut-être un nom hébreu (פצאל) signifiant « El sauve » ou « El libère », et Hérode, un nom grec (Ἡρῴδης) signifiant soit « fils de héros », soit « comme un héros ». Au fur et à mesure que l’étoile d’Antipater montait, il faisait entrer ses fils dans le giron politique, et ils servaient de conseillers politiques et de commandants militaires. Armés d’esprit, de ruse, d’esprits aiguisés et de sacs de charisme, les trois hommes ont réussi à devenir un élément indispensable dans la vie quotidienne de la famille royale.

Lorsqu’Antipater a compris que les Romains, plutôt que les Hasmonéens, allaient être les véritables puissances dans la région, il leur a transféré son allégeance, et suite à l’aide qu’il a apportée à Jules César contre Pompée, a été récompensé par la citoyenneté romaine et nommé procurateur de Judée (c’est-à-dire, l’agent responsable sous Rome), les Hasmonéens ne prenant que le titre de grand prêtre (Ant. 14:143). À son tour, Antipater nomma Phasaelus gouverneur de Judée et Hérode gouverneur de Galilée.

En 40 avant notre ère, un rejeton de la famille hasmonéenne nommé Antigone conclut un traité avec les Parthes et reprit Jérusalem à Rome. Phasaelus fut pris et se suicida, mais Hérode prit la tête d’une armée et assiégea Jérusalem, la reprenant à Rome en 37 avant J.-C. Cette même année, à l’âge de 35 ans, Hérode épousa Miriam l’Hasmonéenne, fille d’Alexandre Jannaeus, le protecteur du grand-père d’Hérode. Ainsi, Hérode s’intègre davantage à la célèbre dynastie, et lui permet de faire le saut de procurateur à roi.

Une relation complexe avec le judaïsme

L’une des premières choses qu’Hérode fait en arrivant au plein pouvoir est de renvoyer les prêtres associés à la dynastie hasmonéenne, et d’élever des prêtres issus de familles juives venues de la diaspora. Ainsi, Hérode a créé une classe religieuse dirigeante qui était loyale au roi et qui était plus ouverte d’esprit que son prédécesseur.

On ne peut pas blâmer Hérode de chercher un ordre religieux plus sympathique. Les deux principales sectes de l’époque, les Pharisiens et les Sadducéens, étaient mécontents du roi d’une manière ou d’une autre ; il venait du mauvais milieu, de la mauvaise famille, n’avait pas la bonne éducation, et sa relation avec le judaïsme était difficile.

L’identité juive d’Hérode a toujours été un point sensible ; il n’était tout simplement pas assez juif pour la plupart de ses sujets réticents. L’Évangile de Matthieu (2:1-20), le Talmud (b. Baba Batra 4b), et même Josèphe (Ant. 17:304-308) par moments, qualifient Hérode de roi cruel dont la légitimité au trône était douteuse, au mieux. Les Sages, qui écrivent des siècles après la vie d’Hérode, décrivent Hérode comme étant « l’esclave hasmonéen », ce qui montre à quel point la tradition juive doutait de la judéité d’Hérode.

Certes, ses origines ethniques et religieuses étaient compliquées : Du côté de son père, il était juif iduméen, issu d’une famille de convertis iduméens ; du côté de sa mère, il était nabatéen – sa mère était une princesse nabatéenne – une tribu arabe du sud de la Jordanie (près de Pétra). De plus, en tant qu’aristocrate en Judée, il a reçu une éducation à la fois hellénistique et juive ; il n’est pas étonnant qu’il ait eu une relation compliquée avec l’identité religieuse.

Si les sources littéraires débattent de la judéité d’Hérode, une grande partie de ce débat découle de la position idéologique de l’auteur et non d’un regard dépassionné sur la vie et le comportement d’Hérode. Ainsi, un outil différent peut nous aider à évaluer la relation d’Hérode avec son judaïsme, à savoir l’archéologie. Heureusement, comme Hérode était l’un des plus grands bâtisseurs de tous les temps, il nous a laissé beaucoup de matériel avec lequel travailler.

Suivre les lois de pureté

La période du Second Temple est bien connue pour ses lois de pureté sévères et quelque peu obsessionnelles. La nécessité d’être purifié et suffisamment pur pour pouvoir adorer au Temple dominait la vie des Juifs de Judée. On en trouve la preuve dans la quantité abondante de mikvaot (bains rituels) répartis dans tout le pays, dont la plupart ont été trouvés à Jérusalem.

Des mikvaot ont été trouvés dans tous les palais d’Hérode, même dans les plus privés, comme le palais du Promontoire à Césarée Maritima. Certaines des mikvaot étaient de petite taille, de taille domestique, comme celle située sur la terrasse inférieure du palais du Nord à Masada, ce qui indique qu’elles étaient probablement utilisées par la famille intérieure, peut-être même par le roi lui-même.

Vases en craie : insensibles à l’impureté

Dans le cadre de cet accent mis sur la pureté, des récipients en pierre faits de craie tendre, une substance qui ne passe pas l’impureté rituelle, ont commencé à apparaître dans les établissements juifs. Lorsque de tels récipients sont trouvés lors d’une fouille, cela indique un mode de vie strictement juif, surtout lorsque le même endroit possède des mikvaot.

De tels récipients sont trouvés dans au moins trois des palais d’Hérode. Bien que ces palais aient été utilisés après la vie d’Hérode, et donc que les découvertes ne prouvent pas qu’il utilisait de tels récipients, l’ensemble du troisième palais d’hiver de Jéricho peut être directement attribué à la vie d’Hérode. Le fait que de tels récipients, qui ne peuvent être trouvés que dans un contexte juif, aient été mis au jour dans les strates hérodiennes, signifie que le roi et sa famille respectaient bien certaines des lois de pureté de leur époque.

Pas d’images : Honorer le Décalogue

Le Décalogue stipule :

Exode 20 :4 Tu ne te feras pas d’image sculptée, ni de représentation quelconque de ce qui est dans les cieux en haut, sur la terre en bas, ou dans les eaux au-dessous de la terre

Bien que les paramètres exacts de l’interdiction aient été interprétés différemment selon les périodes, les preuves archéologiques suggèrent que les Hasmonéens comprenaient que l’interdiction incluait toute forme d’œuvre d’art représentant des objets réels dans le monde. Ainsi, même si les rois hasmonéens étaient très friands du style de vie hellénistique, ils ont respecté l’interdiction de la représentation anthropomorphique et zoomorphique en décorant leurs palais de mosaïques géométriques très élaborées. Hérode a gardé la même tradition presque à la lettre.

Ses magnifiques palais abritaient de jolies peintures murales abstraites dessinées dans le second style pompéien, et ses sols arboraient de superbes mosaïques, toutes conformes à la dernière mode à Rome ; motif en nid d’abeille noir et blanc dans le palais du Nord, assortiment géométrique coloré dans le palais du Promontoire et apparemment dans le temple de Jérusalem lui-même.

La mosaïque du Triclinium à l’étage inférieur du palais du Promontoire. Photo : Evie Gassner

L’Herodium Triclinum : Une exception

Une exception, cependant, à l’adhésion générale d’Hérode à ce commandement a été découverte lors des récentes fouilles du théâtre de Lower Herodium. L’équipe d’archéologues a mis au jour le triclinium royal (salle à manger), qui était décoré de magnifiques peintures murales représentant des scènes de bataille navale (probablement la célèbre bataille d’Actium), un paysage sacré et des hommes dans un symposium. C’est le seul endroit connu à ce jour, dans lequel Hérode a choisi de passer outre l’interdiction qu’il a si soigneusement suivie dans tous les autres projets.

Fragment de fresque du Bas-Hérode représentant une scène de bataille navale. Photo : Evie Gassner
Fragment de fresque de l’Herodium inférieur représentant un paysage sacré. Photo : Evie Gassner

Rénovation du Temple et du Portique royal

En l’an 20/19 avant notre ère, Hérode entreprit le projet le plus grandiose et le plus important de sa vie : la rénovation du Temple juif sur le Mont du Temple. La portée de ce projet était si vaste que, des décennies plus tard, lorsqu’il fut réduit en cendres en l’an 70 de l’ère chrétienne par Vespasien et ses légions, il n’était pas encore complètement terminé.

S’engager dans un projet aussi délicat, avec toutes les difficultés qui l’accompagnent, peut démontrer le respect que le roi portait à la religion dans laquelle il était né. On peut supposer qu’en reconstruisant le bâtiment le plus important pour le judaïsme, Hérode a tenté d’apaiser ses sujets juifs et leurs chefs religieux. Selon Josèphe (Ant. 15, 420), Hérode lui-même s’est abstenu d’entrer dans le Temple et s’est tenu au Portique Royal, c’est-à-dire, la basilique sur le Mont du Temple dans laquelle il était personnellement impliqué dans la planification.

Hérode gardait-il la cacherouth ?

Un autre cas dans lequel le comportement d’Hérode est un mélange de juif et d’hellénistique est la façon dont il se rapportait aux diverses règles alimentaires qui constituent les lois de la cacherouth.

Pas de porc

Hérode a exécuté sa femme, Miriam, et sa mère Salomé, en 29 avant notre ère. L’année suivante, il a assassiné son beau-frère Kostabar. Ces actes découlaient de sa paranoïa à l’égard de ses proches qui souhaitaient lui ravir le trône. Cette paranoïa n’a fait qu’empirer avec le temps, conduisant à son acte le plus célèbre, à savoir l’accusation de haute trahison contre deux de ses fils, Alexandre et Aristobolus, et leur exécution ultérieure en 7 av. J.-C.

Pour procéder au procès (qui s’est déroulé au tribunal romain de Beyrouth), il devait obtenir la permission d’Auguste César, ce qu’il a obtenu. L’incident a conduit à la célèbre boutade d’Auguste,

Il vaut mieux être le cochon (grec : hua) d’Hérode que son fils (grec : huia).

Le jeu de mots repose sur l’hypothèse que, comme Hérode était juif, il ne mangeait pas de porc, et donc que son cochon serait à l’abri du couteau du boucher, contrairement à sa propre chair et son propre sang.

Poisson casher ?

Avoir des liens étroits avec l’empereur et sa famille était très bénéfique pour le style de vie somptueux d’Hérode. Il importait de nombreux biens uniques, tels que du marbre italien, le fameux pigment cinabre provenant des carrières impériales d’Espagne, des équipes romaines d’artistes et d’architectes et, bien sûr, une nourriture décadente.

Le roi de Judée et ses invités vénérés appréciaient des mets délicats tels que des pommes italiennes et du garum espagnol, qui est une sauce de poisson fermentée utilisée comme condiment. Les scientifiques qui ont étudié ces récipients de garum ont déterminé que celui d’Hérode était un mélange inhabituel, contenant uniquement du poisson casher, contrairement à la recette habituelle. Cela montre que les personnes qui exportaient le garum vers Hérode connaissaient cette interdiction juive et supposaient (ou on leur a dit explicitement) qu’Hérode la suivait, et qu’il était prêt à payer un supplément pour cela.

Vin païen

Un autre produit de luxe qu’Hérode importait était les vins italiens et égéens.

Amphores contenant du vin importé, trouvées à Caesarea Maritima. Photo : Evie Gassner

Voici un développement intéressant pointant dans la direction opposée du garum : Hérode buvait du vin de gentils, un produit interdit par les Juifs pratiquants dès Daniel 1:8 et certainement du vivant d’Hérode.

Projets romains et fidélité à l’empereur

La déviation la plus frappante d’Hérode par rapport à la pratique juive avait trait à sa loyauté envers ses mécènes romains. Hérode avait de nombreux sujets, qui n’étaient pas tous juifs. Avec le pardon d’Octavien à Actium, Hérode a reçu un grand nombre de territoires conquis qui avaient fait partie de la Judée hasmonéenne mais qui avaient été perdus au fil des ans. Beaucoup de ces territoires comprenaient des villes de gentils.

N’étant jamais du genre à oublier sa bonne fortune, Hérode érigea au moins trois temples dédiés à Rome et à Auguste dans les villes de Caesarea Maritima, Sebaste (Samarie) et Panias. Il ajouta également des théâtres, des gymnases et des nymphées, qui étaient mal vus par ses sujets juifs. Son but était de rendre ces villes aussi romaines que possible, sans tenir compte des interdictions religieuses qu’il devait maintenir au sein de ses colonies juives contre de tels bâtiments.

L’incident de l’aigle d’or

L’exemple le plus célèbre où Hérode a bafoué les sensibilités juives pour honorer ses mécènes est lorsque, à un moment donné vers la fin de sa vie, il a décidé de suspendre un grand aigle d’or à la porte principale menant au Temple, afin de montrer sa fidélité à Rome. Cela a mis ses sujets juifs en colère et un complot visant à faire tomber la statue incriminée a été concocté. Lorsque Hérode découvre ce plan, il réagit mal et fait brûler vifs les  » traîtres « , afin de donner une leçon à son peuple.

C’est compliqué

Le roi Hérode était un personnage très complexe. De ses racines iduméennes et de sa mère nabatéenne à son éducation hellénistique et à la religion imposée à ses ancêtres, sa vie était faite de contradictions. Les éléments recueillis ci-dessus brossent un portrait complexe de l’observance du judaïsme par Hérode. Si l’on considère les preuves plutôt confuses et contradictoires à la question de la judéité d’Hérode, la caractérisation la plus raisonnable de sa relation avec le judaïsme est la suivante : c’est compliqué.

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