Articles

Helots

Relations avec les SpartiatesModification

Depuis au moins la période classique, le nombre de Spartiates est très faible par rapport à celui des helots. Dans un passage célèbre, Thucydide souligne que « la plupart des institutions spartiates ont toujours été conçues en vue de la sécurité contre les helotes ». Aristote les compare à « un ennemi constamment à l’affût du désastre des Spartiates ». La peur semble donc être un facteur important dans les relations entre Spartiates et Hilotes. Selon la tradition, les Spartiates portaient toujours leur lance, ne défaisaient la courroie de leur bouclier que lorsqu’ils étaient chez eux, de peur que les Helotes ne s’en emparent, et s’enfermaient dans leurs maisons. Ils prenaient également des mesures actives, les soumettant à ce que Théopompus décrit comme « une condition tout à fait cruelle et amère ».

Selon Myron de Priène, un historien anti-spartiate du milieu du IIIe siècle av. J.-C.:

Ils assignent aux Helotes toute tâche honteuse conduisant à la disgrâce. En effet, ils ordonnent que chacun d’entre eux porte un bonnet en peau de chien (κυνῆ / kunễ) et s’enveloppe de peaux (διφθέρα / diphthéra) et reçoive chaque année un nombre stipulé de coups, indépendamment de toute faute, afin qu’ils n’oublient jamais qu’ils étaient esclaves. De plus, si l’un d’entre eux dépassait la vigueur propre à la condition d’esclave, ils faisaient de la mort la sanction ; et ils attribuaient une punition à ceux qui les contrôlaient s’ils échouaient.

Plutarque affirme également que les Spartiates traitaient les Helotes « durement et cruellement » : ils les obligeaient à boire du vin pur (qui était considéré comme dangereux – le vin étant généralement dilué avec de l’eau) « …. et les conduisaient dans cet état dans leurs salles publiques, afin que les enfants puissent voir ce qu’est un homme ivre ; ils les faisaient danser des danses basses et chanter des chansons ridicules… » pendant les syssities (banquets obligatoires). Cependant, il note que ce traitement brutal n’a été infligé que relativement tard, après le tremblement de terre de 464 av. J.-C.

Certains spécialistes modernes préconisent une réévaluation des preuves anciennes concernant les helotes. Il a été avancé que le kunē n’était pas réellement fait de peau de chien, et que la diphtérie (littéralement, « cuir ») était la tenue générale de la classe des paysans pauvres. L’obligation des maîtres d’empêcher l’engraissement de leurs helots est en fait jugée peu plausible : comme les Spartiates vivaient séparément, l’apport alimentaire ne pouvait pas être rigoureusement contrôlé ; comme le travail manuel était une fonction importante des Helots (par exemple, ils étaient utilisés pour porter les armes et les armures de leur maître en campagne), il serait logique de les maintenir bien nourris. D’ailleurs, les rations mentionnées par Thucydide pour les Hilotes de Sphactérie sont proches de la normale. La preuve de Myron est interprétée comme une extrapolation à partir d’actions réalisées sur des représentants symboliques. En résumé, Grote écrit que « les diverses anecdotes que l’on raconte sur le traitement à Sparte dénotent moins une cruauté qu’un mépris ostentatoire ». Il a été suivi récemment par J. Ducat (1974 et 1990), qui décrit le traitement spartiate des Hilotes comme une sorte de guerre idéologique, destinée à conditionner les Hilotes à se considérer comme des inférieurs. Cette stratégie semble avoir été couronnée de succès, au moins pour les Helotes laconiens : lorsque les Thébains ordonnèrent à un groupe de prisonniers helotes laconiens de réciter les vers d’Alcman et de Terpander (poètes nationaux de Thèbes), ceux-ci refusèrent au motif que cela déplairait à leurs maîtres.

D’autres spécialistes modernes considèrent alors que, « bien que les détails puissent être fantaisistes, reflète avec précision l’attitude générale des Spartiates envers les helotes ». Il a également été souligné que le mépris seul pouvait difficilement expliquer le meurtre organisé des helotes mentionné par plusieurs sources antiques. Selon Aristote, les éphores déclaraient chaque année la guerre aux Hilotes, permettant ainsi aux Spartiates de les tuer sans craindre une pollution religieuse. Cette tâche était apparemment confiée aux kryptes, diplômés de l’agoge difficile qui participaient à la crypteia. Cette absence de protection judiciaire est confirmée par Myron de Priène, qui mentionne la mise à mort comme un mode standard de régulation de la population helvète. Selon un passage de Thucydide, 2 000 helotes ont été massacrés lors d’un événement soigneusement mis en scène en 425 av. J.-C. ou avant :

« Les helotes furent invités par une proclamation à choisir ceux d’entre eux qui prétendaient s’être le plus distingués contre l’ennemi, afin qu’ils puissent recevoir leur liberté ; le but étant de les mettre à l’épreuve, car on pensait que les premiers à réclamer leur liberté seraient les plus fougueux et les plus aptes à se rebeller. Deux mille personnes furent ainsi choisies, qui se couronnèrent et firent le tour des temples, se réjouissant de leur nouvelle liberté. Les Spartiates, cependant, les supprimèrent peu après, et personne n’a jamais su comment chacun d’eux avait péri. »

C’est ainsi que Paul Cartledge affirme que « l’histoire de Sparte (….) est fondamentalement l’histoire de la lutte des classes entre les Spartiates et les Hilotes ».

Les Hilotes et les klēroiEdit

Les Hilotes étaient affectés aux citoyens pour effectuer les travaux domestiques ou pour travailler sur leurs klēroi, ou portions. Les klēroi, étaient les divisions originelles de la Messénie après sa conquête par Sparte. Diverses sources mentionnent de tels serviteurs accompagnant tel ou tel Spartiate. Plutarque voit Timaia, l’épouse du roi Agis II,  » être elle-même assez effrontée pour murmurer parmi ses servantes helotes  » que l’enfant qu’elle attendait avait été engendré par Alcibiade, et non par son mari, ce qui indique un certain niveau de confiance. Selon certains auteurs, au IVe siècle avant J.-C., les citoyens utilisaient également des esclaves à des fins domestiques. Cette affirmation est toutefois contestée par d’autres. Certains helots étaient également les serviteurs des jeunes spartiates pendant leur agoge, l’éducation spartiate ; il s’agissait des μόθωνες / móthōnes (voir ci-dessous). Enfin, les helots, comme les esclaves, pouvaient être artisans ou commerçants.

Ils devaient remettre une partie prédéterminée de leur récolte (ἀποφορά / apophorá), les helots gardant le surplus. Selon Plutarque, cette portion était de 70 medimnoi d’orge pour un homme, 12 pour une femme, ainsi qu’une quantité d’huile et de vin correspondant à une quantité raisonnable pour les besoins d’un guerrier et de sa famille, ou d’une veuve, respectivement. L’existence de l’apophora est contestée par Tyrtaeus : « Deuxièmement, bien qu’aucun tribut fixe ne leur ait été imposé, ils avaient l’habitude d’apporter à Sparte la moitié de tous les produits de leurs champs….. Comme des ânes usés par leurs grands fardeaux, ils apportaient par nécessité à leurs maîtres la moitié de tous les fruits de leurs champs de blé. » Pausanias décrit la période qui suit immédiatement la première guerre des Messéniens, lorsque les conditions étaient probablement plus sévères. De plus, comme le prélèvement d’un pourcentage du produit aurait nécessité une surveillance constante des helots, il est peu probable qu’une telle taxe puisse être appliquée à la Messénie, relativement éloignée. Tyrtaeus étant un poète, le montant pourrait bien avoir été une figure de style poétique, similaire à l’actuelle « moitié d’un royaume ». En fait, on peut se demander si la citation fait référence aux helots en premier lieu, puisque la description de Tyrtée de la deuxième guerre de Messénie fait référence à des phalanges ennemies, indiquant que la première guerre aurait pu se terminer avec le peuple messénien devenant un État vassal de Sparte plutôt que des helots.

Ayant payé leur tribut, les helots pouvaient souvent vivre plutôt bien ; les terres de Laconie et de Messénie étaient très fertiles, et permettaient souvent deux récoltes par an. Il semble qu’ils pouvaient jouir d’une certaine propriété privée : en 425 av. J.-C., certains helots possédaient leurs propres bateaux. Une certaine richesse était accessible : en 223 av. J.-C., 6 000 helots achetèrent leur liberté pour 500 drachmes chacun, une somme considérable à l’époque.

DémographieEdit

Les helots vivaient en unités familiales et pouvaient, au moins de facto, contracter des unions entre eux. Comme les helots étaient beaucoup moins susceptibles que les autres esclaves de l’Antiquité grecque de voir leurs unités familiales dispersées, ils pouvaient se reproduire, ou du moins maintenir leur nombre. Probablement non négligeable au départ, leur population a augmenté en dépit de la crypteia, d’autres massacres d’helotes (voir ci-dessous) et des pertes de guerre. Simultanément, la population des citoyens spartiates a diminué.

L’absence de recensement officiel empêche une évaluation précise de la population helot, mais des estimations sont possibles. Selon Hérodote, les helotes étaient sept fois plus nombreux que les Spartiates lors de la bataille de Platée en 479 avant JC. La longue guerre du Péloponnèse a vidé Sparte d’un si grand nombre de ses citoyens qu’à l’époque de la conspiration de Cinadon, au début du IVe siècle avant J.-C., on ne pouvait compter que quarante pairs, ou citoyens, dans une foule de 4 000 personnes à l’agora (Xénophon, Hellenica, III, 3, 5). La population totale des helotes à cette époque, y compris les femmes, est estimée à 170 000-224 000.

Puisque la population des helotes n’était pas techniquement un bien mobilier, leur population dépendait du taux de natalité indigène, par opposition aux prisonniers de guerre ou aux esclaves achetés. Les helotes étaient encouragés par les Spartiates à imposer une doctrine eugénique similaire à celle qu’ils pratiquaient eux-mêmes. Selon les croyances grecques de l’époque, cela permettrait de transmettre aux générations successives des caractéristiques favorables non seulement génétiques mais aussi acquises. Ces facteurs sélectifs étaient tempérés par la crypteia, au cours de laquelle les helvètes les plus forts et les plus aptes étaient les cibles principales des kryptes ; choisir des cibles moins fortes était interprété comme un signe de faiblesse. Cela permettait théoriquement d’éliminer les rebelles potentiels les plus forts et les plus aptes tout en maintenant la population générale en forme et efficace.

Plus encore, les Spartiates utilisaient les femmes helotes pour satisfaire les besoins en personnel humain de l’État : les  » bâtards  » (nothoi) nés de pères spartiates et de femmes helotes occupaient un rang intermédiaire dans la société lacédémonienne (cf. mothakes et mothones ci-dessous) et venaient gonfler les rangs de l’armée citoyenne. Il est difficile de déterminer si ces naissances étaient le résultat de liaisons volontaires (du moins de la part du père) ou si elles faisaient partie d’un programme officiel de l’État. Les filles nées de telles unions, ne servant aucun objectif militaire, étaient probablement abandonnées à la naissance et laissées à l’abandon.

ÉmancipationModification

Selon Myron de Priène, cité par Athénée, l’émancipation des helotes était  » courante  » (πολλάκις / pollákis). Le texte suggère que cela est normalement associé à l’achèvement du service militaire. La première référence explicite à cette pratique à l’égard des helotes se trouve dans Thucydide (IV, 26, 5). C’est à l’occasion des événements de Sphactérie, lorsque Sparte a dû relever ses hoplites, assiégés sur l’île par les Athéniens :

« Le fait était que les Lacédémoniens avaient fait de la publicité pour que des volontaires transportent dans l’île du maïs moulu, du vin, du fromage, et toute autre nourriture utile dans un siège ; des prix élevés étant offerts, et la liberté promise à celui des helotes qui y parviendrait ».

Thucydide rapporte que la demande a rencontré un certain succès, et que les helotes ont fait parvenir des provisions à l’île assiégée. Il ne mentionne pas si les Spartiates ont tenu parole ou non ; il est possible que certains des helots exécutés par la suite aient fait partie des volontaires sphactériens mais aient déclaré plus tard avoir tenu parole.

Un autre appel de ce type a eu lieu lors de l’invasion thébaine de la Laconie, dans l’une des batailles décisives des guerres du Péloponnèse. Xénophon dans Hellenica (VI, 5, 28) affirme que les autorités ont accepté d’émanciper tous les helotes qui se sont portés volontaires. Il rapporte ensuite que plus de 6 000 d’entre eux ont répondu à l’appel, ce qui a mis dans l’embarras les Spartiates, d’abord dépassés par le nombre. Xénophon précise que les craintes des Spartiates furent apaisées lorsqu’ils reçurent l’aide de leurs alliés et des forces mercenaires béotiennes.

Tout de même, en 424 av. J.-C., les 700 helotes qui servaient Brasidas à Chalcidice furent émancipés, et on les appela désormais les « Brasidiens ». Il était également possible d’acheter la liberté, ou de l’obtenir en suivant l’éducation spartiate traditionnelle. En général, les helots émancipés étaient appelés « neodamodes » (νεοδαμώδεις / neodamōdeis) : ceux qui rejoignaient le δῆμος / dễmos (Deme) des Perioeci.

Moses Finley souligne que le fait que les helots puissent servir comme hoplites constituait une grave faille dans le système. En effet, le système hoplite était une méthode d’entraînement stricte visant à assurer le maintien de la discipline au sein de la phalange. Les Spartiates ont acquis une réputation considérable en tant qu’hoplites, grâce aux capacités tactiques développées par un entraînement constant. En plus de cet aspect militaire, être hoplite était une caractéristique clé de la citoyenneté grecque.Introduire des helots dans ce système conduisait donc à un conflit social inévitable.

Un cas particulier : les mothakes et les mothonesEdit

Phylarque mentionne une classe d’hommes à la fois libres et non-citoyens : les μόθακες / mothakes, qui avaient subi l' » agoge « , le système éducatif spartiate. L’historiographie classique reconnaît que les helots constituaient une grande partie de ces mothakes. Néanmoins, cette catégorie pose un certain nombre de problèmes, en premier lieu celui du vocabulaire.

Les auteurs classiques ont utilisé un certain nombre de termes qui semblent évoquer des concepts similaires :

  • μόθακες / mothakes : une connotation de liberté, Phylarchos affirmait qu’ils étaient libres (eleutheroi), Claudius Aelianus (Varia Historia, 12, 43) qu’ils pouvaient être citoyens ;
  • μόθωνες / mothōnes : une connotation de servilité, le mot désigne les esclaves nés au foyer ;
  • τρόφιμοι / trophimoi : élèves, enfants adoptés, que Plutarque classe parmi les xénoï (étrangers);
  • σύντροφοι / syntrophoi : littéralement, « ceux qui ont été élevés avec », c’est-à-dire les frères et sœurs de lait, donnés par Phylarque comme équivalents aux mothakes;
  • παρατρέφονοι / paratrephonoi : littéralement, « ceux qui ont été nourris près de toi », signification assez différente de la précédente (ce mot s’appliquait aussi aux animaux domestiques).

La situation est quelque peu compliquée par une glose d’Hésychios d’Alexandrie qui atteste que les mothakes étaient des enfants d’esclaves (δοῦλοι / doũloi) élevés en même temps que les enfants de citoyens. Les philologues résolvent ce dilemme de deux manières :

  • ils insistent pour lire μoθᾶνες / mothãnes, comme un hapax pour μόθωνες (Arnold J. Toynbee) ;
  • l’hypothèse que douloi a été interpolé par un copiste qui a confondu mothakes et mothônes.

Dans tous les cas, la conclusion doit être traitée avec précaution :

  • les mothônes étaient de jeunes serviteurs chargés des tâches domestiques des jeunes Spartiates pendant leur éducation (Aristote, I, 633c), ils restaient esclaves à l’âge adulte ;
  • les mothakes étaient un groupe indépendant d’helotes nés libres.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *