Antidépresseurs dans le trouble bipolaire : 7 mythes et réalités
Peu de sujets sont aussi controversés que le rôle des antidépresseurs chez les patients atteints de trouble bipolaire. Bien que la dépression soit généralement l’état d’humeur prédominant et le plus durable dans le trouble bipolaire, les cliniciens sont souvent confrontés à une incertitude quant à l’utilisation d’antidépresseurs en raison de préoccupations concernant la sécurité et l’efficacité. Savoir si et quand utiliser des antidépresseurs pour la dépression bipolaire dépend de paramètres complexes qui excluent toute règle unique et simple.
Plutôt que de se demander si les antidépresseurs sont utiles ou néfastes pour les patients déprimés atteints de trouble bipolaire, une question plus pratique pourrait être : Dans quelles circonstances les antidépresseurs sont-ils susceptibles d’être bénéfiques, délétères ou inefficaces pour un patient donné ? Parce que les patients du « monde réel » ont souvent des idiosyncrasies qui défient les recommandations de traitement génériques des directives de pratique, les cliniciens qui pratiquent dans les tranchées proverbiales ont besoin de stratégies pour adapter les traitements à chaque patient qui sont informés – mais pas dictés – par la recherche fondée sur des preuves.
Les premiers soupçons
Les préoccupations selon lesquelles les antidépresseurs pourraient précipiter la manie ont été décrites pour la première fois avec l’utilisation d’antidépresseurs tricycliques (TCA) en Europe dans les années 1960. Après l’apparition du bupropion et des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), certains cliniciens ont estimé qu’ils présentaient un risque moindre pour ce phénomène par rapport aux ATC1,2 ou aux inhibiteurs de la monoamine-oxydase (IMAO).3
Le potentiel des antidépresseurs à induire une manie/hypomanie à court terme après une exposition aiguë a été mis en balance avec le risque à plus long terme d’aggraver l’évolution de la maladie en augmentant la fréquence des épisodes ultérieurs (ce qu’on appelle l’accélération du cycle). Dans les années 1980, certains chercheurs ont suggéré que les cycles rapides pourraient – au moins dans certains cas – représenter un phénomène iatrogène causé par l’utilisation à long terme d’antidépresseurs. Ces questions restent controversées, mais plus de 20 ans de recherche suggèrent que les antidépresseurs induisent la manie ou accélèrent le cycle chez une plus petite minorité de patients atteints de troubles bipolaires qu’on ne le pensait auparavant.
Le tableau 1 et le tableau 2 résument les résultats des études contrôlées randomisées qui ont examiné l’efficacité des antidépresseurs dans la dépression bipolaire aiguë. À l’exception d’une étude sur la fluoxétine plus l’olanzapine,4 aucun essai contrôlé par placebo à grande échelle n’a démontré une réponse antidépressive supérieure à un stabilisateur d’humeur plus un antidépresseur par rapport à un stabilisateur d’humeur seul.
Tableau 1
Antidépresseurs pour la dépression bipolaire : ISRS et IRSN*
Efficacité aiguë | Risque de commutation rapporté |
---|---|
Fluoxétine (ISRS) | |
86% de taux de réponse après 3 semaines dans une comparaison randomisée à double insu de 6-.semaine en double aveugle randomisée par rapport à l’imipramine ou au placeboa | 0% |
38% de taux de réponse après 8 semaines de monothérapie contrôlée par placebo chez des sujets bipolaires II ou NOSb | 0% |
56% de taux de réponse sur 8 semaines en association avec l’olanzapine ; significativement meilleur que le placebo plus olanzapine (30%)c | 6% |
Paroxétine (ISRS) | |
Même que le placebo lorsqu’il est ajouté à un médicament antimaniaque (STEP-BD) pendant une période allant jusqu’à 26 semainesd | 10.1% (rapporté uniquement conjointement pour la paroxétine ou le bupropion) |
Taux de réponse de 36% (pas différent du placebo) lorsqu’il est coadministré avec du lithium à dose thérapeutique pendant 10 semainesse | 7% | Même que le divalproex plus lithium lorsqu’il est coadministré avec le divalproex ou le lithium sur 6 semaines (les taux de réponse réels ne sont pas rapportés)f | 0% |
43% de réponse (coadministré avec le lithium, divalproex, ou carbamazépine) sur 6 semainesg | 3% (non significativement différent du bras de comparaison venlafaxine) |
Sertraline (SSRI) | |
41% d’amélioration (comparable aux taux observés avec le bupropion ou la venlafaxine lorsqu’ils sont coadministrés avec un stabilisateur d’humeur sur 10 semaines)h | 12% |
Venlafaxine (SNRI) | |
36% d’amélioration (comparable aux taux observés avec le bupropion ou la sertraline ) lorsqu’elle est coadministrée avec un stabilisateur d’humeur sur 10 semainesh | 6% |
48% de réponse (coadministrée avec le lithium, divalproex, ou carbamazépine) sur 6 semainesg | 13% (non significativement différent statistiquement du bras de comparaison paroxétine) |
*Aucune donnée n’est disponible pour le citalopram, desvenlafaxine, duloxétine, escitalopram, fluvoxamine ou milnacipran | |
NOS : non spécifié autrement ; IRSN : inhibiteur de la recapture de la sérotonine/noradrénaline ; ISRS : inhibiteur sélectif de la recapture de la sérotonine ; STEP-BD : Programme d’amélioration systématique du traitement du trouble bipolaire | |
Source :
a. Cohn JB, Collins G, Ashbrook E, et al. Une comparaison entre la fluoxétine, l’imipramine et le placebo chez les patients atteints de trouble dépressif bipolaire. Int Clin Psychopharmaol. 1989;4:313-322. |
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